France pays solidaire?
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Stéphane Gatignon,
maire de Sevran,
conseiller régional d’Ile-de-France

Sevran, le 19 octobre 2012

Madame, Monsieur,

Majorité ou opposition, sénatrices, sénateurs, députées, députés, élu(e)s de la République, maires et responsables de terrain, nous devons faire face à un bouleversement sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes toutes et tous confrontés à une crise civilisationnelle dont le versant financier est une des expressions les plus violentes. Au moment où vous avez la responsabilité de voter le budget de la nation pour l’année à venir, il me semble important d’avoir une attention particulière pour les collectivités locales les plus en difficulté.

Depuis 2001, je suis maire de Sevran. Avec l’équipe municipale, nous gérons au plus juste et, comme j’ai l’habitude de le dire de manière un peu familière, « serrer plus notre budget, ce serait attaquer l’os ». Avec 30 millions de moins de budget de fonctionnement par rapport à la moyenne de sa strate, l’élaboration budgétaire de notre commune est un exercice d’équilibriste. Malgré cela, pas une fois nous n’avons été placés sous tutelle de l’Etat. Nous concevons des réalisations et des projets importants. Pôles de développement économique, projet de data-center, éco-quartier, rénovation urbaine, cluster « nouvelles énergies »… Sevran est un des plus gros budgets Anru de France et une des communes les plus en pointe dans la construction de la nouvelle urbanité.

Je suis le maire de 51 000 habitants confrontés à toutes les difficultés des territoires des grandes métropoles mondialisées. Chômage (16% en moyenne et 40% chez les jeunes), affaissement social, trafics de cannabis et de drogues dures créant une économie parallèle chaque jour plus puissante. Sevran, dans sa lutte contre la ghettoïsation, est le laboratoire de la nouvelle société. Une ville-monde où cohabitent 76 nationalités. La désindustrialisation des années 90 nous a fait entrer dans « le top 100 » des communes les plus pauvres. Le départ de notre territoire de grandes entreprises comme Kodak et Westinghouse ainsi que le manque d’anticipation des politiques publiques de mes prédécesseurs nous ont plongés dans un marasme budgétaire structurel.

Dans ce monde en pleine crise, la violence est partout, y compris dans nos rapports aux institutions financières. Un fossé profond existe entre le système financier actuel et les collectivités locales comme Sevran. Les rapports sont plus que tendus. La défiance a pris la place de la collaboration, la suspicion celle du dialogue. C’est un problème de politique d’accès au crédit. De plus en plus, « on ne prête qu’aux riches ».

Malgré les engagements pris, les organismes bancaires, qu’ils soient publics ou privés, signifient du jour au lendemain qu’ils coupent court aux emprunts consentis. Cette année, il m’a fallu intervenir à plusieurs reprises dans les médias pour débloquer nos discussions avec les banques et pouvoir emprunter. Au dernier comité de pilotage du projet Anru de Sevran, j’ai dû prendre assez vivement la parole afin d’attirer l’attention de nos interlocuteurs sur l’état des financements de nos projets et questionner l’avenir de l’Agence et de ses engagements.

Il faut nous inquiéter de l’arrêt de la politique de rénovation urbaine par défaut d’investissements. L’Anru, ce n’est pas des dépenses en trop, c’est l’avenir que nous construisons. La fin de ces crédits signifie, pour des communes comme la mienne, l’abandon par la République, le naufrage social. Il est vital pour notre

téléphone : 01 49 36 52 00 télécopie : 01 49 36 52 01 www.ville-sevran.fr

Toute correspondance doit être adressée à Monsieur le Maire 5, rue Roger Le Maner 93270 Sevran

société que la dynamique de l’Anru se poursuive. Mais elle doit mieux prendre en compte la réalité des villes très pauvres. Voici quelques exemples des incongruités imposées auxquelles nous ne pouvons faire face :

République Française – Département de Seine-Saint-Denis

A Sevran, on nous impose de payer le déficit lié à la construction de logements sociaux qui engagent 2,4 millions d’euros.

On nous impose de porter financièrement le rachat des fonds de commerce désaffectés dans le cadre de déclarations d’utilité publique en attendant un remboursement au bout d’un processus allant de cinq à dix ans. Cette avance peut aller jusqu’au million d’euros.

On nous demande de payer des terrains de SA HLM pour aménager des parkings alors que la commune cède à l’euro symbolique les surfaces nécessaires à la résidentialisation des bâtiments desdites SA d’HLM !

Aujourd’hui même la Caisse des dépôts et consignations, notre partenaire de toujours, s’interroge sur sa participation au financement de la rénovation des quartiers.

La fin de Dexia nous met le couteau sous la gorge avec la cessation de notre ligne de trésorerie de 7 millions d’euros qu’aucun dispositif n’est venu remplacer. Comment gérer sans ligne de trésorerie ? Comment payer nos prestataires alors que nous devons attendre le versement de subventions publiques qui ne viennent pas ? La Banque postale nous a annoncé son refus de financement le lendemain même de son annonce de mise à disposition des collectivités locales d’une ligne de crédit de 2 milliards d’euros à court terme !

Aujourd’hui, malgré plusieurs relances auprès de l’Anru, nous subissons des retards de versements d’un montant cumulé de 1,2 million d’euros. Au total, en ajoutant les subventions dont les formalités ordinaires de remboursement sont en cours, la ville est en attente de 4,7 millions d’euros ! De fait nous « faisons la banque » pour l’institution qui doit théoriquement nous protéger et nous accompagner.

Notre collectivité devient, parmi d’autres, une variable d’ajustement pour la trésorerie de la République. Pas plus que je n’ai été élu pour faire l’aumône, je ne l’ai été pour prêter de l’argent. Notre système est au bord de l’explosion.

A Sevran il manque, structurellement, 5 millions d’euros pour boucler le budget 2013. Cinq indispensables millions sans lesquels la ville mettra la clé sous la porte. Mais dans le même temps, des communes affichent, dans notre département comme dans notre région, des excédents de gestion considérables. Pour paraphraser un humoriste célèbre, on peut dire que la République a mis toutes les communes sur un pied d’égalité, mais que certaines sont plus égales que d’autres…

On parle souvent de « maire-bâtisseur ». J’ai plutôt la désagréable impression de devenir un « maire-mendiant ». J’ai honte au nom de mes concitoyens dont les finances actuelles ne pourraient supporter une nouvelle hausse de la fiscalité locale.

Je ne réclame même plus l’égalité, le rétablissement par la péréquation entre communes riches et pauvres des trente millions manquant à notre service public local pour fonctionner. Je ne réclame que l’équité. Je ne réclame que l’application du droit commun à travers la dotation de solidarité urbaine qui doit contribuer à ces cinq millions manquants.

Je suis maire et à ce titre je dois à mes concitoyens la dignité et le respect de la fonction. Je leur dois l’équité financière et l’espérance, en cette période de crise, que les plus faibles, dont nous sommes, ne soient pas les plus oubliés de la République.

Au moment où se discute le budget 2013, je vous demande avec solennité que se mène la discussion sur la revalorisation de la dotation de solidarité urbaine pour pallier les difficultés financières des cent communes les plus en difficulté financièrement. Je viens vers vous pour que nous puissions à Sevran, grâce au vote de votre assemblée, bénéficier des cinq millions d’euros nécessaires structurellement à notre fonctionnement pour les années à venir.

Avec toute ma gratitude, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de ma haute considération.

Stéphane Gatignon

Résolution du Problème

Mesdames, Messieurs, Chers amis,

Je me suis mis en grève de la faim il y a maintenant six jours. Cette action était destinée à
ce que les communes les plus fragiles financièrement comme Sevran obtiennent les moyens
d’avoir un budget digne de ce nom. C’était mon devoir de maire et d’élu local que
d’engager cette action pour rompre le silence dans lequel étaient plongées les communes les
plus en difficulté de notre pays.
Il y a urgence. La crise entraîne nos communes dans une spirale d’endettement et de baisse
des ressources. Pour Sevran, il s’agissait de combler un déficit structurel de 5 millions
d’euros et de récupérer les 4,7 millions d’euros dus par l’ANRU. Ce déficit structurel
interdisait l’accès aux emprunts nécessaires au paiement des entreprises travaillant pour la
ville. Cette situation risquait d’entraîner des fermetures de PME et de condamner au
chômage des dizaines et des dizaines de salariés. Elle rendait impossible la poursuite du
renouveau de notre commune.
Aujourd’hui jeudi 15 novembre, j’ai décidé de cesser la grève de la faim.
L’intervention du Président de la République, lors de sa conférence de presse du 13
novembre, a permis de jeter les bases d’un travail fructueux avec le gouvernement. J’ai été
touché par le respect et l’attention que François Hollande a manifesté pour les banlieues.
Le Premier Ministre, la ministre à l’Egalité des territoires et le ministre de la Ville m’ont
transmis les mesures qu’ils préconisaient. J’ai accepté ce compromis.
1/ Face à ma demande de création d’un fonds d’urgence pour les villes les plus fragiles
financièrement, le gouvernement a décidé de dédier l’augmentation de la Dotation de
Solidarité Urbaine de 120 millions d’euros prioritairement aux villes les plus pauvres.
2/ La Ville de Sevran faisant partie de ces communes verra son budget 2013, et les suivants,
crédité d’une dotation budgétaire structurelle qui lui permettra de faire face à ses
engagements et à ses indispensables projets. Le montant de cette dotation structurelle reste à
définir, mais il se situera aux alentours de cinq millions d’euros par an.
3/ Le travail autour de la mission conduite par François Puponi sur la péréquation financière
entre communes riches et pauvres débutera vendredi prochain. J’y participerai. Les
préconisations de péréquation seront orientées vers les communes les plus en difficulté.
Elles seront adoptées en 2013 et opérationnelles en 2014.
J’estime aujourd’hui que par ce compromis nous avons obtenu gain de cause.Pour les
communes les plus fragiles financièrement les bases d’un redressement sont jetées et de
nouvelles perspectives s’ouvrent.
C’est une victoire d’abord des habitants des villes de banlieue les plus en difficulté. C’est à
mes concitoyens, Sevranaises et Sevranais et au-delà de notre territoire que je dois ma
détermination à conduire ma grève de la faim.

Je veux remercier les Sevranaises et les Sevranais ainsi que les Franciliens qui sont venus
soutenir mon action.
Je veux remercier les parlementaires et les élus ainsi que les responsables politiques qui
m’ont manifesté leur solidarité et leur amitié.
Le Premier ministre, la ministre à l’Egalité des territoires et le ministre de la Ville ont su se
mobiliser et s’engager avec détermination pour prendre en compte les intérêts des
communes les plus pauvres.
Je suis persuadé que les débats que nous avons conduits pendant une semaine vont
permettre que les points de vue se rapprochent. Les problèmes des banlieues et des villes les
plus fragiles financièrement seront mieux pris en compte comme le souhaite le Président de
la République en « parlant de justice territoriale ».

Stéphane Gatignon