Réinventer la nature pour se nourrir durablement, tel est le défi que relève une nouvelle génération d’agriculteurs et de jardiniers.
Et si l’agriculture de demain n’était ni biotech ni biologique mais permaculturelle ? La création d’une université populaire de la permaculture et la multiplication de collectifs autour de ce sujet montrent en tout cas que cette approche séduit. En Languedoc-Roussillon, SudMed vient de fêter ses un an. Fort de ses soixante-dix membres, ce réseau méridional compte des jardiniers, des agriculteurs et des paysagistes qui veulent en savoir plus sur la permaculture. Les Montpelliérains du réseau appliquent déjà ses principes dans le verger partagé VerPoPa de Malbosc.
« Travailler avec la nature au lieu de travailler contre elle »
Mais de quoi s’agit-il ? Le mot permaculture est une contraction de « permanent agriculture ». Elle a été élaborée dans les années 1970 en réaction à l’industrialisation de l’agriculture, à peu près en même temps au Japon et en Australie. L’idée est de créer des écosystèmes productifs et durables grâce à une observation attentive des écosystèmes naturels. Cette approche holiste utilise la méthode du « design », qui consiste à concevoir et à aménager un système efficace à tous les points de vue : rendements élevés, consommation énergétique minimale, recyclage naturel des différents éléments…
Pour l’agronome François Léger, la permaculture repose en particulier sur « la construction d’un sol qui va assurer une agriculture permanente, c’est-à-dire des rendements réguliers sans avoir à apporter autre chose que de la matière organique « . La culture sur buttes, qui consiste à cultiver sur des bandes de terre surélevées, est la technique phare de cette agriculture. Elle permet de créer un sol profond dont l’amélioration prendra ensuite plusieurs années. La biodiversité a aussi la part belle dans ces designs car la complémentarité entre les différentes espèces est une des sources de la performance du système. Céline Garcia Navio, une agricultrice du Gard à l’initiative de SudMed, cite un des adages retenus d’un cours de permaculture : « C’est travailler avec la nature au lieu de travailler contre elle. »
Mais les permaculteurs français n’ont que peu de ressources à leur disposition. Développés par des Australiens, les manuels en anglais n’ont pas été traduits. Les formations se développent à peine. En France, les exploitations agricoles en permaculture se comptent sur les doigts d’une main. L’éco-centre de la ferme du Bec Hellouin en Haute-Normandie est une des rares expériences. Un de ses élèves, Jérôme Dehondt, s’installe aujourd’hui sur 12 hectares en polyculture élevage. Son objectif est de créer un système le plus autonome possible en associant maraîchage, agroforesterie, élevage…
Quant à la viabilité de sa ferme, Jérome Dehondt y croit. Il participe même à une étude avec l’Institut national de recherche agronomique (Inra) sur la performance économique de son système. François Léger, qui conduit ce programme de recherche, souligne l’absence de connaissances sur ce type d’exploitations, parce qu’elles sont rares mais aussi parce que les indicateurs économiques classiques ne permettent pas de mesurer des systèmes autonomes. Jérôme Dehondt lance également cette année l’association Terra Vitae pour accompagner les porteurs de projets en permaculture.
L’utilisation des façades, des toits et des terrasses
La permaculture s’approche d’autres expériences d’agricultures durables et autonomes, comme le travail de Pierre Rabhi. Mais son aura touche surtout les citadins. Cette approche résonne en effet avec la prise de conscience des limites d’une société du gaspillage, dépendante d’une énergie fossile qui se raréfie. Les principes d’efficacité, de précaution et de sobriété défendus par la permaculture ont en particulier inspiré le mouvement Villes en transition, lancé par le professeur de permaculture anglais Rob Hopkins au milieu des années 2000.
Pratiquement, les techniques utilisées en permaculture permettent d’augmenter la productivité sur des petites surfaces. Cette densification répond à la volonté des quartiers ou des villes en transition de relocaliser la production alimentaire. En milieu urbain, la culture sur buttes, l’utilisation des façades, des toits et des terrasses permettent par exemple d’étendre significativement les surfaces cultivées.
Le terme « design » concourt probablement à séduire des citadins en quête de réappropriation de l’espace urbain. La dimension artistique du design n’est pourtant pas revendiquée par les permaculteurs, le terme étant utilisé dans son sens anglais de concevoir, créer et aménager. On est donc loin des démarches du type Land-art par exemple. Mais force est de constater la place de l’esthétique dans les jardins permaculturels. Peut-être parce que justement la permaculture rejoint l’origine du mouvement artistique du Design qui revendiquait son inspiration d’une observation et d’une compréhension des processus évolutionnistes de la nature.
Kris French a créé le collectif Montpellier en transition. Cette passionnée de permaculture urbaine a également engagé le verger partagé VerPoPa vers la permaculture. Cette année, les trente-cinq jardiniers ont aménagé aux pieds des arbres les buttes qui devront permettre à leur potager de fructifier. « Nos principales limites étaient l’érosion sur un terrain en pente et l’eau. On a donc cultivé selon les courbes de niveau, en dégageant la terre en aval pour que l’eau de ruissellement irrigue », explique Kris French qui résume : « La permaculture fait appel à l’observation et à l’inventivité. » Dans le cadre de son soutien aux jardins partagés, la mairie de Montpellier a mis à disposition de VerPoPa un terrain de 2 300 m2 et a planté soixante arbres fruitiers. Cette collaboration a permis d’attirer l’attention du service des espaces verts : « Des techniques de récupération des eaux de pluie utilisées par Verpopa pourraient être appliquées par nos techniciens », confirme Sébastien Bancarel, responsable des quartiers nord et ouest.
Un transfert de connaissance du Sud vers le Nord
En Europe, la permaculture inspire finalement surtout des expériences de jardinage urbain. Mais dans l’hémisphère sud, ses techniques sont répandues dans une grande variété de projets agricoles. Les principes d’efficacité et d’autonomie répondent aux préoccupations des paysans qui n’ont pas les moyens de se payer une agriculture industrielle. Les forêts comestibles développées en milieux tropicaux en sont, par exemple, une des applications les plus abouties. Considérant la rareté des expériences d’agriculteurs français face à celles de leurs confrères indiens ou latino-américains, François Léger conclut : « Finalement, pour une fois, on est dans un transfert de connaissance du Sud vers le Nord ».
Ecrit Par Magali Reinert
Source : http://www.chicxulub.fr/?p=2187